Rencontre Capitale chapitre 2

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Vacma
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Rencontre Capitale chapitre 2

Message par Vacma »

1

Aucun clermontois nierait que le parc Montjuzet était le plus impressionnant de la ville, une butte paradisiaque pour quiconque s’y promenait. Ce n’est pas Amandine Bonnard qui aurait affirmé l’inverse car elle avait toujours adoré cet oasis au cœur de la grande agglomération. Dans ce lieu, elle avait vécu de nombreuses et inoubliables expériences, ses premiers coups de pédales sur sa bicyclette à roulettes, ses compétitions de saut à la corde avec les copines, les parties de cache-cache dans les aires prévues pour les enfants en compagnie de son frère et de ses cousins sous la surveillance acérée de ses parents. C’est aussi dans un des bosquets qu’elle embrassa un garçon pour la toute première fois. Un simple baiser sur les lèvres qui se prolongea sensiblement lorsque leurs bouches s’ouvrirent et que leurs langues glissèrent l’une contre l’autre. Comment s’appelait il déjà ? Amandine dont les neurones fonctionnaient pourtant à la perfection ne se souvenait que du contact humide mais magique et surtout de son envie de recommencer le plus régulièrement possible, promesse qu’elle avait réussi à tenir jusqu’à ses 27 ans pour le plus grand plaisir de ces garçons.
Ses premiers émois remontaient à loin et Amandine n’était pas non plus du genre à s’encombrer de souvenirs. Elle ne se promenait pas mais courait dans les allées sinueuses et fortement inclinées du parc, et si elle courait, ce n’était pas que par passion mais surtout pour se vider la tête. Brillante chargée de clientèle dans une agence AXA, elle passait ses journées à accueillir , informer et orienter les clients dans un bureau qui sentait l’encre et la paperasse. Son corps jeune et svelte n’était pas conçu pour rester assis dans un fauteuil à faire du gras et à déformer son ventre souple et ferme. Il lui fallait de l’exercice chaque jour et quarante-cinq minutes de course lui paraissaient aussi raisonnables qu’indispensables sinon la pression grimpait et Amandine se sentait d’humeur à distribuer des patates à quiconque l’importuneraient. Non pas qu’elle fut bagarreuse dans l’âme mais son tempérament d’auvergnate n’était pas à prendre à la légère et quand la pression s’élevait sous sa voûte de sa boîte crânienne, mieux valait ne pas la contrarier et lui donner presto l’occasion de l’évacuer.
Les mois d’avril étaient souvent frais dans le Puy de Dôme, climat semi-continental oblige, et la neige couvrait encore les sommets arrondis de la chaîne du Puy. Toutefois, il faisait beau aujourd'hui et Amandine trottait en cycliste et en débardeur recouvert d’un coupe-vent. Ses longs cheveux châtains attachés en queue de cheval virvoltaient de gauche à droite au rythme de ses pas et ses yeux bleus et clairs fixaient les mètres qui la précédaient sans trahir un intérêt envers les promeneurs qui se retournaient sur son passage avec un air d’admiration parfois malsain sur le visage. Quand elle courait, ce n’était pas pour dragouiller sauf exception et cette fois-ci n’en fut pas une. L’énergie qu’elle brûlait la détendait comme si tous les muscles et les nerfs de son corps se dénouaient dans l’eau chaude d’une source de Saint Nectaire. Le soleil brillait encore au loin mais ne tarderait pas à se coucher en couvrant le centre ville d’une ombre fraiche, un spectacle de toute beauté du point panoramique qu’elle aimait tant partager avec Franck. Mais Franck travaillait trop souvent en déplacements et les semaines qui s’enchaînaient lui semblaient bien fades. Certes ils avaient bon nombre d’amis en commun chez qui elle allait parfois dîner et passer la soirée mais quand elle rentrait se coucher, les soixante mètres carré lui semblaient faire le double et surtout son large lit manquaient d’une seconde présence. Le plus important était que depuis peu, la voix d’Amandine résonnait tristement contre les murs lorsqu’elle parlait toute seule puisque les effets de Franck n’y figuraient plus .

C’est en arrivant au niveau de la table d’orientation qu’elle s’arrêta, admirant le panorama et face à la cathédrale Notre-Dame De l’Assomption, les mains posées sur ses hanches et respirant profondément. Franck n’était plus son homme mais Clermont-Ferrand serait toujours sa ville. Elle consulta son smartphone qu’elle transportait contre son bras et vérifia ses SMS. Ceux de Franck, tendres et plus souvent coquins, n’y figuraient plus mais ceux de ses copines célibataires florissaient.
“Coucou Amandine, t’es partante pour boire un verre ce soir entre filles? Bises Manon”
Elle considéra la proposition puis pianota une réponse. Lorsque Franck avait décidé de prendre la poudre d’escampette à l’issue d’une énième algarade, les cris avaient fusé et les larmes coulé. Trainer dans les bars de nuits avec les copines devint alors le cadet de ses soucis. Son homme, celui qu’elle croyait être le bon, venait de claquer la porte de leur appartement et le lendemain il revint non pas pour fumer le calumet de la paix mais pour récupérer l’ensemble de ses affaires. Il n’avait pas laissé la moindre chaussette dans un coin de tiroir ni pas une seule facture à son nom et encore moins les posters de Christiano Ronaldo sur les murs des toilettes.
La colère se dissipa soudainement lorsque la porte claqua et que Franck disparut et le cœur d’Amandine se serra avant que des flots de chaudes larmes se déversent de ses yeux rougis et qu’elle ne s’effondre sur le lino, la main sur le front et secouée de sanglots. C’était il y a deux semaines et Manon Costa eut vent de cette rupture le lendemain seulement. Ce genre de nouvelle se diffusait à la vitesse des portables et à partir du moment où un proche en était alerté, cela faisait boule de neige et l’agglomération clermontoise était au courant de toute l’histoire en moins d’une semaine. Amandine et Manon se connaissaient depuis le lycée et ne s’étaient pas quittées depuis, même lorsque la présence d’un petit ami monopolisait tout leur temps et leurs pensées.
Amandine resta cloîtrée chez elle toute la première semaine qui suivit la rupture, ne sortant que pour travailler, les yeux rougis et fatigués d’avoir trop pleuré et insuffisamment dormi. Au début de la deuxième, elle recommença ses joggings, le cœur gonflé d’amertume. Elle ne voulait voir personne puis elle décida qu’il était temps de réagir.
“Ok pour ce soir, ça roule. 21h au Minium. Bises”
Le Minium était un pub au style irlandais situé sur le boulevard Léon Malfreyt et justifiait son nom pour ses shooters qui brûlaient les langues sensibles et avaient la fausse réputation de guérir les maux de gorge. Il fut aussi le fief d’Amandine, de Manon ainsi que d’autres amis au cours de leurs études de sciences économiques, un paradis pour tous les étudiants aimant faire la bringue à partir du jeudi soir jusque tard dans la nuit de samedi à dimanche.

Amandine redescendit le parc au petit trot en serrant à gauche ou à droite pour éviter les poussettes et les enfants qui galopaient. Elle foula ensuite quelques trottoirs avant de retrouver son logement et de filer sous la douche, juste le temps d’envoyer un message à son frère Kévin de trois ans son aîné qui la soutenait toujours dans les épreuves. Comme à son habitude, elle se débarrassa de ses vêtements de sport en les jetant dans la corbeille à linge de la buanderie puis elle déambulait nue dans son appartement comme elle adorait le faire avant de rejoindre la salle de bain.
L’eau chaude coulait sur sa peau de pêche, des nuages de vapeur s’élevaient et de la buée se déposait sur les miroirs fixés au-dessus du lavabo et sur la porte. La tête penchée en arrière, Amandine s’ouvra à toute les faveurs de la douche et ses mains fines ne se contentèrent plus de se débarrasser des résidus de sueur. Si son cœur était toujours scindé par le départ de Franck, son appétit sexuel la rappela à l’ordre et le jet puissant du pommeau se révéla d’une efficace assistance. Elle se laissa aller à ses caresses puis vibra en poussant de longs soupirs sensuels, synonymes d’une délivrance bienfaitrice qui lui manquait trop.

2

Les pieds nus foulants le sol de la cuisine et le reste du corps enveloppé dans un ravissant peignoir bleu lavande, Amandine réchauffait les restes de la veille qui traînaient dans le frigidaire puis installa le tout sur la table basse pour s’y restaurer. Avec Franck, ils adoraient dîner devant les émissions de télé tout en les gratifiant de commentaires ou d’exemples personnels et depuis son départ, elle avait conservé cette habitude sauf qu’elle n’avait plus personne à qui donner son avis. Depuis, elle avait troqué les réflexions amusées et parfois indignées qu’elle réservait à TPMP par des échanges silencieux de SMS. Ses parents n’étaient pas friands de ce mode de communication ce qui n’était pas le cas de son frère Kévin.
“Ça été aujourd'hui sœurette ?”
“Ouais nickel. Comment vont Charlotte et Eloi?”
“Eloi à bousillé ses nouvelles pompes en freinant avec sa trotinette, des Adidas à 40€ la paire. Sa mère est furax. Sinon ça va…”
Amandine sourit en pensant à son neveu. Elle en était la marraine. Eloi était une boule de nerfs mais une adorable boule de nerfs avec une bouille que l’on avait sans cesse envie de bécoter. C'était elle qui avait offert cette trotinette pour ses cinq ans alors ce constat la fit rire de bon cœur.
“Estimez-vous heureux que je ne lui ai pas acheté le fusil mitrailleur Nerf sinon vous auriez reçu des projectiles en mousse dans les yeux et d’autres se seraient enflammés en tombant derrière les radiateurs électriques.”
“Alors choisi un jouet plus ludique pour ses six ans ou son Noël. Un livre ferait très bien l’affaire et Charlotte ne deviendrait pas hystérique.”
Un livre, se dit-elle avec étonnement, Eloi était hyperactif et sa réserve de concentration était destinée pour l’école maternelle. Son bonheur était de sortir au retour de la classe pour retrouver ses copains de quartier dans le parc de jeux qui formait un îlot garni d’un toboggan, d’un château en bois massif et d’un bac à sable au milieu des maisonnettes du lotissement. Les voisins d’ordinaire jaloux les uns des autres s’étaient mis d’accord sur un point, il y aurait toujours au moins un parent pour surveiller les enfants. Quant aux voitures, elles ne pouvaient circuler qu’au ralenti grâce aux chicanes implantées tout au long de la route.
” Il aura tout le temps de lire des livres quand il sera en âge de les apprécier. Et toi, tu en caches toujours sous ton matelas ?”
Elle savait qu’il en possédait lors de son adolescence pour l’avoir surpris en train d’en bouquiner un alors qu’elle était entrée dans sa chambre pour lui demander un conseil avisé sur les équations à deux inconnues. Forcément, les équations passèrent au second plan et elle lui jura de ne rien révéler à leurs parents si Kévin lui permettait de lire aussi cette étrange littérature. Une manière détournée de lui faire comprendre qu’il n’avait guère le choix. Amandine excellait à ce jeu là et obtenait ce qu’elle désirait de son frère bien qu’elle l’aimât de tout son cœur.
“T’es assez grande pour t’en acheter toute seule, espèce de coquine. T’es sûre que tu vas bien?”
“Ouais , arrête de t’en faire. Je sors à Minium avec Manon ce soir. Il y aura d’autres amis aussi.”
“Ok. Bonne soirée alors. Bisous”.
Elle termina son modeste dîner, penchée sur la table basse en suivant sans grand intérêt les facéties de Cyril Hanouna. Elle appréciait la bonne humeur de son émission et Dieu sait qu’elle avait besoin de rire mais qu’est-ce que ça volait bas par moment!

Elle prit le temps de s’habiller chaudement, de se remaquiller puis sortit. Le boulevard Léon Malfreyt n’était qu’à quelques centaines de mètres alors inutile de prendre la voiture. Sans parler de l’alcool qu’elle risquait d’ingurgiter. Un seul verre suffisait pour que tout bascule, Amandine ne le savait que trop en tant membre d’une compagnie d’assurance et elle n’avait de cesse de conseiller la prudence à sa famille et ses amis. Elle se dirigea donc à pieds vers son pub favori en faisant résonner les talons de ses escarpins sur les trottoirs.
Quelques jeunes fumaient en bavardant devant l’entrée du pub à moitié bondé. Amandine poussa la porte et le brouhaha s’intensifia soudainement comme si elle sortait la tête de l’eau d’une piscine pleine d’enfants chahuteurs. La plupart des tables étaient déjà occupées et les hauts tabourets du comptoir également. Les enceintes fixées dans les angles au plafond jouaient la République des météors du groupe Indochine avec puissance. Elle repéra Manon qui lui fit signe de la main puis l’invita à s’asseoir à côté d’elle avec entrain. Sylvain et Laura, deux copains datant aussi de ses années lycée étaient présents également.
“Amène-toi Amandine, cria t’elle, on a pas encore commandé !”
Elle fit la bise à tous et s'adapta à la conversation en cours. Chacun racontait des anecdotes liées à sa profession. Manon était une nouvelle embauchée au Crédit Agricole, Sylvain un agent de maîtrise à la SNCF et Laura conseillait des clients dans l’achat de téléphone mobiles chez Orange.
Elle expliquait justement qu’un homme qui pourrait presque être son père lui avait proposé de dîner avec lui un soir avec l’intention qu’elle lui explique le fonctionnement du Samsung Galaxy S7 dont il venait de faire l’acquisition pour 550€.
“Il faisait le Kéké avec ses fringues dépareillés et en plus il puait de la gueule, s’indigna t’elle. Et vous savez ce qu’il m’a dit? Que mon visage éblouissant ferait sensation sur son fond d’écran !” Elle éclata de rire. “ J’ai juste répondu que mon copain ne serait sûrement pas de cet avis mais il revint à la charge en me demandant mon numéro de téléphone au cas où il oublierait le sien ! Quel ringard ! Je lui ai professionnellement expliqué que ce n'était techniquement pas possible puis je lui ai souhaité une bonne journée. Mais bordel comme j’avais envie de lui faire bouffer son chargeur pour qu’il la ferme !”
Elle parlait avec rapidité comme son énervement était palpable mais elle riait quand même.
- Il aurait mieux valu lui enfoncer le câble dans son entrée de service et brancher le chargeur ensuite, rectifia Sylvain.
- Bien-sûr, compléta Laura, et je suis sûre qu’il aurait aimé ça ce connard. Je les repère d’entrée les mecs qui cherchent à me draguer, rien qu’à la façon de me regarder. Je m’arrange pour les refiler à Théo, mais parfois je n’ai pas d’autre choix que de les servir. Je garde le sourire mais je rage intérieurement.
- Sauf quand tu as affaire à un beau gosse naturellement…
- Même s’il s’agit d’un beau gosse, je n’ai pas le droit de jouer au jeu de la séduction. Il faut que je le rencontre dans d’autres circonstances comme dans ce pub par exemple. Je ne sais pas pour vous, mais j’ai soif !”
Elle interpella un des serveurs s’empressa de prendre leur commande, quatre mojitos sans être chiche sur le rhum. “Je mérite bien ça après une telle journée, se justifia t’elle.”Les autres approuvèrent en souriant puis Sylvain annonça qu’il avait croisé Franck lundi matin vers la gare alors qu’il s’en allait travailler. Amandine tourna soudainement la tête vers lui, avide d’en savoir plus. Elle lui fit signe d’un moulinet de la main de continuer.
- Il se tenait sur le parvis de la gare avec une petite mine. Apparemment, il ne dors pas beaucoup et il fait des aller-retours à Saint Etienne presque chaque jour. Je suis allé lui parler en espérant en savoir plus sur ce qu’il devenait et sur les raisons de son départ mais il fut plutôt évasif voire même fuyant. Il s’attendait peut-être à ce que je le sermonne. Ce n’est pas l’envie qui me manqua quand je vois l’état dans lequel tu es Amandine mais ça n’aurait servi à rien. Je m’attendais à ce qu’il me demande des nouvelles de ta part mais il n’en fit rien. Je l’aime bien aussi mais il va passer à côté de son bonheur à cause de sa orgueil alors je pris les devants.
Manon et Laura observaient Amandine qui attendait la suite. Elles craignaient que cet aveux ne fiche son moral à zéro et la soirée en l’air par la même occasion.
- Il m’a juste reconnu qu’il y avait été fort mais qu’il ne supportait plus tes réflexions Amandine. Je crois surtout qu’il travaillait trop et qu’il s’est laissé submerger par l’énervement. Une forme de burn-out lié à son tempérament de feu. Alors je lui ai demandé s’il n’envisageait pas d’avoir au minimum une discussion avec toi.
- Tu parles, c’est le moins qu’il pourrait faire, annonça Manon avec mépris.
- Si tu recroises ce connard alors dis-lui de ma part qu’il peut rester à Saint Étienne. À ta place, je n’aurais pas hésité, ajouta Laura.
- S’il est parti, c’est bel et bien à cause de nos nombreuses disputes, poursuivit Amandine, je ne supportais plus qu’il s’en aille sans arrêt. Le samedi il se rendait à son entraînement de foot et le dimanche il participait au matchs. Même s’il n’abusait pas des troisièmes mi-temps, ça ne laissait plus beaucoup de temps pour notre couple. On se faisait un restaurant et un cinéma par moment, une soirée festive entre potes ou au stade Marcel-Michelin pour encourager l’ASM mais tout le reste de la semaine j’étais seule. Et si on avait eu un enfant, on aurait fait comment??? J’aurais pris un congé maternité de trois ans et j’aurais collé des photos de Franck sur chaque mur pour qu’il sache à quoi ressemble son père??? Qu’il reste là où il est et qu’il ne vienne pas chialer sur le perron de ma porte. Je ne le reprendrais pas, pas après ce qu’il m’a fait.
- Tu as raison ma Didine, fit Manon en déposant un bécot sur sa joue, c’est bien fait pour sa gueule s’il est triste. Il avait une copine formidable, belle, sexy et intelligente, alors qu’il se console en se secouant la nouille maintenant. Qu’est-ce qu’il t’a dit d’autre Sylvain?
- Que des banalités et il ne semble pas avoir de nouvelle copine. Son travail et son foot doivent passer avant ses besoins hygiéniques.
- Et si on changeait de sujet, proposa Amandine dont le teint avait pâli. Vous savez que je dois me rendre à Paris le mois prochain? Oui, j’ai reçu un courrier lundi dernier, une lettre sur mon bureau en provenance de la direction régionale pour m’expliquer que, étant donné la nature de ma profession, je devais être capable de faire face à toutes les situations selon la clientèle et ce pour offrir un service de meilleure qualité mais aussi pour ma propre sécurité.
- On va t’enseigner l’auto-défense Amandine? Tu n’en as pas besoin. Tu te rappelles comment tu avais défoncé la meuf qui avait fait du frottis-frottis contre Franck puis qui t’avait fait la nique en discothèque ? Tu avais tiré sec sur sa queue de cheval en lui faisant une béquille pour la faire basculer puis tu lui avais défoncé le tarin au sol à grands coups poings.”
En effet, cette soirée fut des plus mémorables et ils faillirent se faire interdire à vie de l’entrée de la boîte de nuit. L’entremetteuse allumeuse hurlait à la mort et pissait le sang par le nez. Il y en eut plein la piste qu’il fallu évacuer pour la nettoyer. Amandine lui vociférait des insultes pendant que Manon et Laura joignirent leurs forces pour la maîtriser. C’est à ce moment que les videurs les invitèrent à quitter les lieux sur le champ. Amandine ne décolèra pas du reste de la soirée, du sang séché tâchant encore son avant-bras.
-” Elle l’avait bien cherché cette conasse, et de toute façon cette boîte de nuit était à chier.
- Alors, c’est quoi cette formation à Paris ? Ce n'est pas pour faire du bateau mouche j’imagine…
- Tu devrais en avoir déjà entendu parler Sylvain, c’est une formation pour faire face à l’agressivité et aux incivilités des clients. Et ça se déroule à Paris du côté de Montparnasse.”
- A vrai dire, pas du tout. Je travaille dans un bureau et je n’ai pas affaire à la clientèle.
Le serveur réapparu avec un plateau rond et quatre verres remplis de glace, de menthe, de rhum et de Schweppes et les disposa sur la table accompagné de l’addition.
- Aaaahhhh‼‼! On a failli attendre, s’exclama Manon. Je lève mon verre aux quatre célibataires que nous sommes !”
Les verres s’entrechoquèrent puis chacun mis la paille dans sa bouche en poussant des “hummm” de satisfaction.
- Putain, ça fait du bien... Continue Amandine, comment ça va se passer? Où vas tu dormir car j’imagine que ça se passe sur plusieurs jours?
- Oui, ça s’échalonne sur deux jours et je dormirai dans un hôtel sans doute pas très éloignée de la formation. On doit nous enseigner la conduite à tenir face à une personne colérique voire menaçante. Tu n’as pas idée à quel point les gens peuvent être susceptibles ou remontés. Quant à la mauvaise foi, j’y fais face chaque jour. La semaine dernière, une mère de famille à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession est rentrée dans un portail lors d’une manœuvre avec son monospace en faisant un demi-tour après avoir déposé ses enfants à l’école. Elle a cassé un phare et déformé son aile pour avoir sans doute tardé de freiner. Le portail ne tenait plus que sur un seul gond. Eh bien elle a quand même pris la poudre d’escampette sans demander son reste. Pas de bol, le propriétaire du défunt portail était à sa fenêtre et a relevé sa plaque d’immatriculation au lieu de sortir en cherchant à faire un constat. Il s’en est allé porter plainte et la police à interpellé cette dame qui a affirmé qu’elle s’était fait rentrer dedans bien auparavant et que c’est le fameux propriétaire qui l’a désignée dans l’espoir que l’assurance lui payerait un portail flambant neuf. Elle l’aurait juré sur la vie de ses gosses !
- Et donc, demanda Laura, comment savoir qui dit la vérité?
- Ce ne fut pas compliqué puisque plusieurs voisins furent témoins de la scène. La fugitive à vraiment cru au père Noël sur ce coup là. Elle s’est crue dans un feuilleton policier dans lequel les hors la loi ne sont jamais inquiétés jusqu’à ce qu’un super limier ne fasse son apparition en imperméable ou avec des lunettes de soleil et qu’une gothique sexy et talentueuse ne les prenne en chasse informatiquement. Sa fausse déclaration nous a poussé à résilier ses contrats et d’un point de vue pénal, elle a commis un délit qui lui coûtera un bras. Pas au point de faire de la prison surtout qu’il n’y a que des dégâts matériels mais l’amende requise et les frais de justice auront de quoi la priver de vacances au soleil pour quelques années.
- C’est bien fait pour sa gueule, conclua Laura. Mais tous les auteurs d’incivilités ne sont pas toujours punis. Quand ma mère a découvert son rétroviseur passager pendant sur la portière un matin qu’elle s’en allait bosser, personne n’a laissé d’adresse ou de numéro de téléphone sous l’essuie-glace.
- Mais ça, ce n’est rien du tout, poursuivit Amandine, les escrocs ont énormément d’imagination lorsqu’il s’agit de se faire illégalement du fric ou pour éviter d’en perdre. Et lorsqu’il y a des personnes blessées ou décédées, je te raconte même pas l’ampleur des formalités.”
Amandine parlait avec une vivacité qui lui était propre. Quand elle bavassait pour raconter sa vie, il était difficile de l’arrêter, comme un semi-remorque en dérive dans les pentes de l’autoroute A89. Mais tout le monde l’écoutait avec un intérêt total et bienveillant. Ils s’apprêtaient à commander leur deuxième mojito quand soudain:
“ HEY, AMANDINE ! Qu’est-ce que tu deviens?”
La conversation s’arrêta net lorsqu’ils entendirent la voix masculine éraillée et désagréablement familière émanant du brouhaha incessant du pub grouillant désormais de clients. Amandine haussa les sourcils de surprise puis grimaça de dégoût en se retournant vers l’homme débraillé au sourire égrillard. Il tenait un verre contenant une demi-litre de la pression la moins onéreuse du bar et de toute évidence, il n’en était pas à son premier. S’il était encore jeune, sa peau terne et parsemée de cratères trahissait une hygiène de vie peu recommandable. Amandine constata qu’il lui manquait quelques dents aussi, faute d’un usage quotidien de dentifrice et plus certainement pour des bagarres qui avaient mal tourné. Ses yeux calculateurs qui examinaient les occupants de la table d’Amandine n’exprimaient pas la joie des retrouvailles. Il s’agissait davantage d’un regard malveillant et hypocrite, celui d’une personne préparant un mauvais coup.
- Alors, on boit un verre entre potes ? continua t’il. Ça fait un bout de temps depuis le lycée. Je me souviens aussi de vous Manon et Sylvain. Quant à toi, je ne te connais pas. Tu es la copine à Sylvain ou à Manon ? Mais c’est Amandine qui retenait toute mon attention, tu n’as pas oublier hein ?
- Non Corentin, répondit-elle de mauvais cœur, je n’ai pas oublié l’époque de Ambroise Brugière. J’en ai gardé de bons souvenirs mais tu n’en fais pas partie alors va boire ta bière et fiche-nous la paix !
Corentin Massardier et Amandine Bonnard se connaissaient depuis la seconde et il ne se passa pas une semaine sans qu’il ne tente sa chance avec elle. Il faisait partie de ces types qui dégageaient naturellement de l’antipathie et Corentin avait eu le béguin pour Amandine et son corps de belette dès le premier cours d’EPS. Chaque tentative de flirte avec celle qu’il considérait comme la plus jolie fille du lycée se soldait par un échec cuisant. Amandine ne fut jamais sienne. Ce qui ne voulait pas dire qu’il fut un éternel adolescent célibataire car il sortait souvent avec des filles qui correspondaient plus à son profil et qui appréciaient le look “bad-boy”, mais Amandine était le Graal et il ne cessa de fantasmer sur elle. Assez correct et sympathique au départ, il devint de plus en plus lourd au fur et à mesure que l’élue de son cœur lui résistait et enfin par dépit, il en vint à la surnommer Amandine Bonasse au lieu de Bonnard. Certes elle lui avait tourné plus d’une claque, surtout lorsqu’il l’appelait Amandine Bonasse au lieu de Bonnard, mais il en fallait plus pour le dissuader de continuer. Par ailleurs, ça la dégoutait de toucher son acnée florissante avec sa main quand elle le giflait, comme si chaque bouton allait éclater et répandre son pus dans sa paume.
- Si je veux ma jolie. Donc je ne peux pas me joindre à vous en mémoire du bon vieux temps ? Il semblerait que non en voyant vos trognes. Je vais vous laisser entre potes puisque je n’ai pas place parmi vous. Toujours entouré de meufs le Sylvain mais je parie que tu ne te tapes aucune d’entre elles en désignant ses amies. Ça ne risque pas si ces deux là préfèrent se brouter le minou quant à Amandine, elle est trop belle et trop fière pour toi. De toute façon, aucune meuf ne veut sortir avec toi, tu vaux zéro.
Sylvain se leva brusquement, et fit face à Corentin qui ne se laissa nullement impressionner. Une vive colère se lisait sur son visage et ses mains tremblaient de rage.
- Si tu me cherches, tu vas me trouver sale pochard !
- Comment tu m’as traité là ? Tu n’as pas peur que j’t’arrange le portrait ? le menaça Corentin calmement tout en prenant une gorgée de bière.
- Tu n’as jamais su arranger quoique ce soit. Tu tires toutes les personnes que tu fréquentes vers le bas et tout ce que tu touches s’amochit. Tu n’es qu’un parasite.
- Attend, on va vérifier, fit-il en le poussant de sa main libre au niveau de l’épaule.
Sylvain qui était sur de mauvais appuis faillit tomber sur les fesses mais ses réflexes le sauvèrent de cette humiliation. Corentin n’en ricana pas moins ce qui fit grimper la colère de Sylvain d’un cran supplémentaire. Il s’approcha et l’attrapa par le col, ignorant les regards qui étaient braqués sur eux deux. Corentin imita son geste et s’apprêta à écraser sa chope épaisse sur son crâne en renversant son contenu. Manon et Laura restaient figées mais Amandine se leva à son tour pour retenir le bras menaçant de Corentin en lâcha un “NON” fort et bref. Sylvain dépassait Corentin d’une demi tête et semblait plus robuste mais il était un parfait novice en matière de bagarre. Il aurait été tout à fait probable qu’il finisse la soirée avec un œil amoché, une ou deux dents cassées et le crâne en sang.
C’est à ce moment que le patron de pub intervint accompagné de son employé qui faisait le service en salle et le videur en cas de querelle. Le premier désarma Corentin de sa chope et le deuxième le séparait de Sylvain dont le visage était rouge de rage et d’embarras. Corentin fut prestement invité à quitter les lieux avec l’injonction de ne plus y revenir. Il vociférait des “c’est bon !” en essayant de libérer son bras de la puissante poigne du videur. Sylvain et Amandine s’expliquaient avec le patron du Minium et furent autorisés à rester grâce à leur fidélité et parce qu’ils n’avaient jamais été des clients à problèmes.
Sylvain se rassit, le visage encore cramoisi et furieux. Il faisait des efforts visibles pour se calmer. Ce petit con de Corentin avait toujours eu un don indiscutable pour cerner les points sensibles de ceux qu’il prenait pour cible. Laura lui prit la main et Manon entoura son bras autour de son cou pour déposer un baiser affectueux sur sa joue. Amandine fusilla Corentin du regard jusqu’à ce qu’il soit hors de vue puis fit le point avec ses amis. Entre les nouvelles de son ex et les retrouvailles aussi soudaines qu’indésirées avec l’élément perturbateur de ses classes au lycée, elle pouvait sans risque attribuer une note catastrophique à sa soirée.
“Bon, et si nous vidions nos verres, fit-elle avec dépit ?”

La soirée ne se déroula pas comme elle l’avait espéré. Au lieu de décompresser de sa semaine de travail avec ses amis et d’oublier son chagrin d’amour, elle avait manqué de peu d’être mêlée à une bagarre et de se faire virer de son pub de prédilection. Par ailleurs, elle venait de recevoir les premières nouvelles de Franck en deux semaines d’un silence cruel et rongeur. Elle en fut bouleversée mais s’efforça de ne pas le montrer. Son esprit revanchard la rendait digne dans cette épreuve mais son cœur brûlait encore des braises rougeoyantes de cette passion à l’arrière goût d’inachevé.
Ils s’efforcèrent de s’amuser à la suite de ce heurt mais leur enthousiasme avait quitté le Minium en même temps que l’importun qui avait gâché leur soirée. Même une troisième tournée de mojitos ne parvint pas vraiment à délier les langues. Laura qui était la seule veinarde à ne pas avoir connu “Corentin le mauvais plaisantin” fit part de ses anciennes expériences personnelles avec le badboy de son immeuble dans un quartier au sud de Clermont-Ferrand. “Tout le monde s’arrangeait pour ne pas le croiser mais comme il squattait sans arrêt les escaliers, nous étions toujours obligés de l’enjamber pour monter ou descendre. Super quand on porte une robe…”Tout à fait le genre de Corentin sans parler des crachats répugnants dont il couvrait le sol et qu’il fallait éviter pour ne pas glisser dessus.
- Tu sais Manon, j’ai toujours désiré savoir l’effet que ça faisait de s’envoyer en l’air avec une autre fille, lui lança t’elle pour la consoler. Toutefois, ce n’est pas toi que je choisirais à cause de tes origines portugaises si tu vois ce que je veux dire.
Elle désigna son entrejambe en mimant une épaisse touffe de poils pubiens tout en riant de sa bêtise mais sa plaisanterie n’eut pas l’effet escompté. Manon ne lui balança même pas une traditionnelle petite tape sur l’épaule en guise de rétorsion.
- On ne peut pas dire que l’ambiance soit au beau fixe, reprit-elle. Alors j’ose espérer que ça ira mieux demain parce que ce n’est pas ainsi que nous comblerons notre solitude sentimentale ! Ce n’est pas que je ne vous aime pas mais je ne compte pas sur vous pour me réchauffer sous les draps.
- On verra demain, lui répondit Amandine avec un sourire peiné. Je dois t’avouer que j’ai le moral ce soir.
Laura qui était la plus facétieuse du groupe regarda Sylvain dont toute trace de gaité avait déserté son visage puis Manon qui faisait une moue qui aurait fait fuir l’homme le plus affamé de la planète. Elle se résigna en soupirant puis expliqua qu’elle se consolerait devant la dernière saison de The Walking Dead sur son ordinateur.
- Je suis déjà entourée de zombies alors au point où j’en suis…

Ils remontèrent le boulevard devenu sombre ensemble dans un drôle de silence puis se séparèrent à une intersection. Amandine n’avait pas réussi à s’extérioriser auprès de ses amis et tentait de se dépêtrer de cet amalgame de pensées tout en marchant. Corentin avait fait ressurgir les démons de chacun d’entre eux en l’espace de quelques secondes. À croire qu’il possédait un don pour la nécromancie. Elle avait de la peine pour Sylvain qui ne fut pas l’élève le plus populaire du lycée quelques auparavant et qui en souffra à de nombreuses reprises. Il n’était pas vilain du tout, il ne l’avait jamais été mais en revanche pêchait par sa banalité si bien que les filles ne s’intéressaient pas à lui en priorité. En soirée, lorsque la testostérone battait son plein et que les couples se formaient en un claquement de doigts, Sylvain endossait toujours le rôle du trop bon copain et dans le meilleur des cas, il jouait les seconds violons pour consoler une nymphette rudement repoussée par sa proie d’origine. C’est vrai, certaines filles pouvaient se montrer manipulatrices et cruelles. Mais il avait pris une sérieuse revanche depuis la fin de ses études en décrochant sa licence d’économie puis en se faisant embaucher à la SNCF. Sylvain était devenu un parti tout à fait honorable. Pour ne rien gâcher, son physique d’adolescent ordinaire avait laissé place à celui d’un beau jeune homme. Amandine avait surpris plus d’un regard féminin se tourner sur lui, le passant aux rayons X de ses pieds pour vérifier comment il était chaussé en remontant jusqu’en haut du crâne pour s’assurer à la texture de ses cheveux qu’il ne serait pas chauve à quarante ans. Il ne lui manquait plus qu’un petit peu plus de confiance en lui qu’il devienne un Casanova de l’Auvergne.
Quant à Manon, elle n’ignorait pas qu'elle avait eu sa passe d’incertitude et qu’elle hésitait sur la sexualité à choisir. Elle était petite, brune et fine et après avoir enchaîné quelques relations dénuées d’intérêt avec des garçons, elle se laissa séduire par une autre fille de sa classe dont le saphisme se lisait sur son look. Au départ, Manon préféra cacher cette relation puis, au fur et à mesure que les semaines passèrent, elle estima qu’elle pouvait se montrer sous son vrai jour. À sa grande satisfaction, la plupart des autres élèves acceptèrent cette union mais il y en avait toujours pour faire part de leur désapprobation ou pour se moquer. Cette intolérance fut un fardeau qu’elle porta toute une année scolaire puis lors des vacances d’été, elles se disputèrent car sa copine était d’une jalousie maladive. Manon mit un terme à leur relation puis rencontra un garçon au physique très masculin dans un camping en Ardèche. Ainsi se termina la période de doute pour Manon mais son ancien goût pour les filles ne s’effaça pas de la mémoire de tous. Ce débile de Corentin en était la preuve vivante.
Même que Corentin aurait moins fait le malin si Franck avait été là, pensa t’elle. Il l’aurait étalé d’une droite avant qu’il n’ait eu le temps de terminer son monologue assassin. Amandine n’aimait pas les hommes violents mais les chiffes molles non plus et rien ne lui aurait fait plus plaisir que de voir Corentin Massardier s’écraser devant son homme. Fallait-il encore que Franck soit son homme. Tout bien réfléchi, il ne l’était plus et décidément son esprit avait bien du mal à l’admettre. Une soirée à jeter aux oubliettes.
Amandine repensa aussi à ce fameux déplacement à Paris. Cette formation ne se déroulait que dans un mois. Elle avait donc le temps de la voir venir et puis il ne s’agissait que d’une formalité pour lui permettre de progresser dans son poste. Mais elle n’était pas rassurée à l’idée de se retrouver seule dans Paris. Elle avait toujours en mémoire ces terribles attentats du 13 novembre 2015. Il lui fut alors impossible de retenir ses larmes en visionnant les infos en boucles sur BFM. Ces faits atroces la traumatisèrent jusqu’au plus profond de son cœur et si la formation avait eu lieu en décembre 2015 alors elle aurait catégoriquement refusé de s’y rendre. Elle aurait bien le temps d’en reparler avec son supérieur le moment voulu.
Elle arriva chez elle puis se coucha sans attendre. Son lit était froid et manquait singulièrement d’une présence masculine. Amandine s’endormit peu après en rêvant à des jours plus romantiques et des nuit plus blanches.

3

Déambulant lentement dans les rues silencieuses en évitant l’éclairage des lampadaires, Corentin ne dormait pas mais sifflait une bière forte et bon marché en broyant du noir. En ces heures tardives, la lumière était son ennemie et la pénombre son alliée. Il n’était pas SDF mais ne tarderait pas à l’être avec la vie qu’il menait. On ne pouvait pas le qualifier de fainéant dans le sens où il avait toujours enchaîné les petits boulots, les postes les plus ingrats, ceux dont personne ne voulait. Mais il finissait généralement par se faire virer à cause de son sale caractère et ses jugements à l’emporte-pièce envers ses collègues et ses supérieurs si bien que sa réputation d’emmerdeur s’était largement étendue dans l’agglomération clermontoise. Aucun patron ne voulait désormais de lui dans sa boîte, même pour manipuler des pièces chauffées à blancs en portant des gants en amiante ou pour bricoler en hauteur sans le matériel de protection réglementaire. Il arrivait au terme de ses droits aux allocations chômage et se demandait comment il parviendra à payer le loyer de son deux-pièces miteux par la suite.
Il s’enfermait petit à petit dans la spirale infernale des hommes qui sombrent dans la marginalité. Il traînait plus en compagnie de types de son genre qu’avec d’autres plus stables et menant une vie correcte. Il passait juste ses journées dans la rue à picoler de la bière tiède vers le quartier de la gare et ne se rappelait pas la dernière fois qu’il fut totalement sobre. Il prenait un maigre petit déjeuner le matin et s’ouvrait une boîte d’Amsterdamer en regardant la télé ensuite.
Les seules nanas qu’il pouvait s’envoyer étaient maigrichonnes et édentées. C’étaient celles qui erraient dans les squares vêtues de haillons et qui dormaient dans des logements encore plus insalubres que le sien ou dans des foyers d’hébergement. Tomber tout à l’heure sur Amandine au Minium lui avait rappelé son adolescence qui ne fut pas si malheureuse que ça puisque son statut de mauvais garçon le rendait populaire au sein de l’établissement scolaire et il avait fait du sport à un niveau que les entraîneurs avaient jugé correct, du moins au départ. La concurrence fut rude dans son club de football et il crachait littéralement ses poumons lors des entraînements à cause du paquet de clopes qu’il fumait quotidiennement si bien que les nouvelles recrues dépassèrent son niveau et Corentin Pagès ne fut plus qu’un remplaçant inutile.
C’était un jeune homme possédant un potentiel intellectuel dont il ne fit usage que pour maintenir la tête hors de l’eau et capable de bonnes manières lorsqu’il maîtrisait son épouvantable caractère. Sauf que la notion d’effort était étrangère à sa culture, comme celle de son père qui s’était fait la malle peu après sa naissance pour fuir sa femme qui l’accablait de reproches et se mettre avec une autre qui ne le supporta pas non plus. Corentin lui n’avait pas le choix de fuir quand son père en avait la garde, il devait supporter sa malveillance, son agressivité et ses vices sans la ramener sous peine de se faire généreusement rosser.
Il savait qu’il n’avait aucune chance avec Amandine, c’était une princesse et il n’avait jamais cru aux belles histoires. La vie était impitoyable, une lutte perpétuelle et les classes sociales ne se mélangeaient pas. Et en parlant de lutte, il aurait bien aimé avoir eu le temps de mettre une raclée à cette mauviette de Sylvain. Ce ne sont pas ses dix centimètres de plus qui l’auraient empêché de lui en coller une dans le pif devant ses copines. Ça pourrait être à méditer pour la prochaine fois qu’ils se croiseraient, songea t’il avec un sourire de mauvaise augure. Il sirota sa bière puis la jeta au sol négligemment. Cette nuit encore il n’y aura pas de petite nana pour secouer Popol dans ses draps qu’il n’avait pas lavé depuis le mois de février. La glorieuse époque du lycée était belle et bien morte et enterrée. Il arriva dans la petite rue de l’Epargne et pénétra dans l’allée étroite d’un vieil immeuble. Il s’allongea sur son clic-clac à la housse déchirée et dans lequel un tiers des lattes étaient manquantes puis s’endormit avant d’avoir retiré ses bottes d’aventurier éliminées.

4

Dans une chambre qui fut pour un certain laps de temps une chambre d’amis avant que son ancien résident n’y fasse un retour en trombe, Franck Martel jouait à FIFA 2018 en poussant des ribambelles de jurons qui faisaient dresser les cheveux de sa mère lorsqu’elle les entendait de l’étage inférieur. Non seulement ces jeux vidéos se distinguaient par leur facette si addictive qu’ils privaient de sommeil quiconque y jouait, mais en plus ils rendaient vulgaire et zinzin. En outre, ces matchs virtuels passaient avant l’heure du dîner et Myriam Martel détestait que l’on repousse l’heure du dîner pour un prétexte aussi futile.
Depuis que son fils était revenu, c’était à nouveau le souc dans sa chambre. Les mauvaises manies avaient décidément la vie dure. Quand il apparut sur le seuil de la maison deux semaines plus tôt avec ses sacs rembourrés de fringues en expliquant brièvement que c’était terminé avec Amandine, Myriam ne le bombarda pas de questions mais sa désapprobation se lisait sur son visage. Son fils n’avait jamais ramené de fille avant Amandine et elle aimait beaucoup cette fille honnête, gentille et au tempérament de fer. Franck était un beau garçon aux yeux ténébreux et à la chevelure presque noire. Haut sur jambes, ses larges épaules faisaient de lui un beau bébé qui attirait l’attention des jeunes femmes sans qu’il ne s’en préoccupe. Il préférait le sport et les copains alors quand il annonça qu’il avait une petite amie et qu’il désirait la présenter, Myriam applaudit de joie. La mignonnette comme la surnomma son père fut reçue comme une reine. Elle avait des valeurs et était belle comme une poupée si bien que Myriam se mit tout de suite à imaginer les enfants qu’ils pourraient concevoir.
Au fil du temps, chacun avait appris à se révéler aux autres. Amandine tutoyait désormais les parents de Franck et remontait les bretelles de son homme sans le moindre embarras lorsqu’elle trouvait son comportement macho à l’extrême.” Le fifils à sa maman” comme elle aimait le surnommer quand il prenait trop ses aises et qu’il laissait les tâches ménagères ingrates pour Amandine. Il prenait l’attitude d’un sauveur héroïque exaspérant lorsqu’il débouchait l’évier de la cuisine mais n’était pas fichu de faire tourner correctement le lave-linge ou de repasser une chemise. Ces réflexes misogynes n’avaient pas échappé aux parents d’Amandine qui n’approuvaient que modérément son côté dominateur et le fait qu’il considèrait leur fille plus comme un trophée que pour la femme libre et entière qu’elle était.
Les disputes étaient devenues encore plus fréquentes lorsque Franck accepta les missions en déplacement de son entreprise de métallerie et ce que craignait Myriam arriva. Il y eut une échaffourrée de trop, son fils se rebella et ce fut le retour à la case départ. Elle ne pouvait pas prétendre que sa présence était encombrante puisqu’il partait travailler tous les jours et qu’il s’enfermait longuement dans sa chambre le soir pour jouer à ses jeux de console mais elle ne trouvait pas la situation actuelle très saine. Comme elle allait se mettre au lit, elle pénétra dans la chambre de Franck pour lui dire bonne nuit. Une odeur de renfermé mêlée à celle de chaussettes trop longuement portées flottaient dans l’air et des affaires sales traînaient au sol. Franck était assis, la manette dans les mains, les yeux fixés sur l’écran.
- Je vais me coucher Franck. Tu comptes jouer toute la nuit ?
- Heu…je ne sais pas, répondit-il d’un air indifférent. Mais si, je vais dormir, ajouta t’il en constatant le regard désapprobateur de sa mère. J’ai un match demain matin en plus. Un vrai match je veux dire.
- Le foot, le foot, maugra t’elle. Tu ne pourrais pas passer à autre chose ? Et Amandine, tu as de nouvelles d’elle ? Qu’est-ce que tu comptes faire ? Elle n’a pas d’importance pour toi ?
- Pour l’instant, je préfère attendre avant de me manifester. Je travaille toute la semaine alors je peux bien m’amuser le week-end.
- Tu ferais mieux de te comporter un peu plus en adulte Franck car aucune femme ne supporte d’être négligée pour le travail ou une activité sportive qui ne la concerne pas. Désolée de te dire ça mais tu dois te remettre en question. Tu ne peux pas passer ton temps à jouer à FIFA. La vraie vie est ailleurs; ailleurs que dans les consoles de jeux !
Myriam referma la porte d’un coup sec. Cette mise en garde l’avait remontée bien qu’elle fut persuadée que ses paroles avaient eu un Impact sur son fils malgré son indifférence. Son fils souffrait de l’absence d’Amandine. Elle le voyait à son manque d’élan et à ses silences. Mais borné comme il l’était, il préférait s’abrutir dans ses jeux pour ne pas penser à elle. Plus les jours passaient et plus ses chances de la récupérer s’amenuisaient. Le chagrin d’Amandine finirait par s’estomper puis elle retrouverait un autre homme pendant que Franck jouerait encore à ses stupides jeux. A moins qu’elle n’oublit sa peine dans les bras du premier venu. Et c’est ce qu’elle craignait le plus car ces éponges à chagrin possédaient généralement une face adhérente dans le genre je-mets-une-femme-enceinte-dès-le-premier-rapport. Myriam frissonna en y pensant et se força à oublier cette possibilité en se glissant sous ses draps.
Il avait beau s’efforcer de ne plus penser à elle et se pencher vers des activités peu ludiques mais qui requéraient toute sa concentration, son cœur menait la résistance et protestait furieusement contre ce recul. Quand il reposait sa manette et procédait à l’extinction des deux, le visage d’Amandine revenait le hanter. Amandine et ses cheveux qui lui chatouillaient les narines lorsqu’ils partageaient le même oreiller, ses yeux aussi bleus que le ciel de la Provence, sa poitrine ferme qui vibrait quand ils faisaient l’amour, sa voix qui lui disait je t’aime. Se sentait-il plus heureux depuis ces derniers jours ? A vrai dire, pas vraiment. Il était logé, nourrit et blanchit. Son était à l’aise dans son travail, se rendait à son sport et ne rendait de compte à personne. Pourtant, il lui manquait cette présence, cette voix, ce parfum raffiné qui s’accordait tant à son style BCBG quand elle partait au bureau, Baby Doll de Yves Saint-Laurent. Ce que cette touche féminine pouvait lui manquer ! Ça l’énervait de l’admettre mais sa mère avait raison, il ne pouvait plus se permettre de vivre comme Tanguy, un célibataire parasite. Des choix allaient bientôt s’imposer à lui et il convenait de prendre les bonnes décisions.
Ne pas craindre d’être lent, mais craindre de s’arrêter !!!
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